Je reprends ici les grandes lignes d’un discours que j’ai été invité à prononcer lors de l’inauguration du parc des Gorilles. Cette courte allocution se voulait d’abord et avant tout un hommage senti à la mémoire du lieu et à l’esprit de résistance qui a permis à cet espace urbain de fleurir à nouveau; d’où l’emprunt du titre de ce billet qui fait référence à celui d’un excellent ouvrage paru l’an dernier chez Écosociété.
Nous voici à célébrer l’aboutissement d’une décennie d’engagement et de travail collectif en faveur de la réappropriation et de la renaturalisation de cette ancienne friche ferroviaire qui a été le témoin de plus d’un siècle de développement industriel et d’urbanisation au cœur de Montréal.
Comment marquer ce moment sans souligner que nous nous tenons sur les terres non cédées de Tiothia:ke / Mooniyang, sur un terrain accaparé par le Canadien Pacifique qui a été au cœur du projet d’expansion coloniale canadien dont l’histoire de déplacement forcé et dépossession brutale se poursuit jusqu’à aujourd’hui ? Puissent les jeunes pins plantés ici porter la mémoire vivante des siècles de résistance autochtone, à l’instar de la pinède d’Oka. Puissent les troncs des peupliers abattus ici nous rappeler que la vision de développement néolibéral qui anime le Canada d’aujourd’hui porte en elle la même pulsion de violence et de mort que celle sur laquelle a été fondé le Canada d’hier.
Et parce que l’on écrit ici une page d’Histoire, puisse-t-on y commémorer la vie et l’œuvre des travailleurs migrants qui ont bâti les chemins de fer au 19e siècle, celles des travailleuses, principalement immigrantes, qui ont passé un demi-siècle dans les manufactures de vêtements du quartier, celles des ouvriers et ouvrières qui ont construit les maisons et fait rouler les usines qui ont façonné le secteur depuis plus de 100 ans.
Au nom de ces innombrables anonymes, il nous revient de dénoncer la frénésie spéculative et la surenchère immobilière qui contribuent à la crise du logement et participent à un processus d’accroissement des écarts de richesse et des inégalités sociales dans nos quartiers, où l’accès à la propriété résidentielle devient un privilège de millionnaires et où des fonds d’investissement prennent le contrôle du parc immobilier pendant que les locataires se font évincer et que des personnes sans domicile fixe se font chasser de leurs campements de fortune.
C’est pourquoi il est plus important que jamais d’affirmer maintenant une volonté de bâtir des quartiers inclusifs, solidaires et résilients qui font de la place à tout le monde et où les besoins et les aspirations à long terme des personnes qui habitent la ville, les droits collectifs et le bien commun passent avant les intérêts particuliers des promoteurs immobiliers, la propriété privée et la recherche du profit à court terme.
Si nous sommes encore là dix ans plus tard, c’est bien pour démontrer que la mobilisation et l’organisation communautaires à petite échelle peuvent donner de grands résultats, et que même les luttes qui peuvent paraître perdues d’avance méritent d’être menées jusqu’au bout.
They took all the trees and put ’em in a tree museum
And they charged the people a dollar and a half to see them
No, no, no
Don’t it always seem to go
That you don’t know what you got ’til it’s gone?
They paved paradise and put up a parking lot
Joni Mitchell sera contente de savoir qu’ici on a défait un stationnement pour en faire un jardin où l’on peut voir des arbres gratuitement dans un (éco)musée en plein air!