Aux frontières du réel : cachez ce racisme qu’on ne saurait voir

Le groupe de droite « identitaire » Storm Alliance (SA*), opposé à l’immigration « illégale », a manifesté aujourd’hui devant le camp de demandeurs d’asile situé aux abords du poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle.

Est-ce ce fait, troublant, qui a retenu l’attention des médias? Pas vraiment.

« Manifestation pro-immigration déclarée illégale à Lacolle », titre TVA Nouvelles, qui avait dépêché son très objectif reporter Yves Poirier sur les lieux. « Après avoir été bloquée par des manifestants, l’Autoroute 15 est rouverte », indique Radio-Canada. « Demandeurs d’asile : des manifestants ont bloqué l’A15 à Lacolle », rapporte La Presse en s’appuyant sur une dépêche de la Presse canadienne, également reprise dans Le Devoir (« Demandeurs d’asile : affrontements entre les manifestants à la frontière ») et dans L’Actualité (« Demandeurs d’asile : manifestation et contre-manifestation à la frontière samedi»).

[Mise-à-jour :  l’article publié dimanche dans La Presse+rapporte que « Les extrêmes s’affrontent à la frontière ».]

Évidemment, le fait qu’une bretelle d’autoroute ait été brièvement fermée à la circulation par une manifestation antiraciste éclipse le fait qu’un groupe ouvertement anti-immigration est venu manifester… juste devant un camp qui abrite des demandeurs d’asile en attente de statut!

Même La Meute – cet autre groupe « identitaire » qui contribue depuis quelques années à faire rentrer le loup de la peur, de l’intolérance et de la xénophobie dans la bergerie de l’opinion publique – s’est dissociée de l’événement, en avançant que c’était une erreur (de communication stratégique?) de cibler ainsi les migrants.

L’arrestation sensationnelle d’un activiste bien connu (un dénommé « Michel Goulet » qui résiderait au Colisée ou au Temple de la Renommée du Hockey, ce n’est pas clair) fait la nouvelle.

Le contexte, éternelle victime collatérale du cycle de nouvelles en continu, c’est qu’une poignée d’antiracistes ont tenté de bloquer l’A15 pour empêcher le convoi des SA de se rendre à sa destination.

Le fait est que la Sûreté du Québec (SQ) a déployé l’antiémeute pour ouvrir la voie au cortège des SA et de leurs alliés.

Il faut dire qu’alors que les antiracistes étaient à pied (maudits écolos-go-gauches!), les « identitaires » étaient en voiture. Que voulez-vous, quand on est contre l’immigration « illégale », on ne marche pas à pied sur la route : c’est comme ça que rentrent tous les « irréguliers »!

Un autre élément de contexte oublié : l’imposant déploiement policier incluait un check point dans la bretelle de sortie de l’autoroute 15, tout juste avant le stationnement de l’hôtel où le rassemblement des antiracistes était prévu.

Quel était le prétexte de ce contrôle routier? Envoyer les antiracistes d’un côté de l’autoroute et les on-est-pas-racistes-on-est-juste -contre-l-immigration-illégale-la-charia-philippe-couillard-et-justin-trudeau de l’autre côté, pour éviter un mélange explosif dans le stationnement de l’hôtel.

Soit. Que la police cherche à séparer les racistes des antiracistes est une chose banale.

Que la police facilite la vie aux SA et à leurs acolytes « identitaires » en escortant leur cortège de manière à leur permettre de contourner le barrage d’antiracistes qui s’était formé entre la sortie de l’autoroute et le camp de demandeurs d’asile, ça, par contre, ce n’est pas anodin.

Or, ce n’est malheureusement pas une première.

Pas plus tard que la semaine dernière, lors d’une manifestation antiraciste dans Rosemont (où vit paisiblement l’un des principaux influenceurs de la nébuleuse néonazie en Amérique du Nord), le SPVM a cru bon de protéger une poignée de militants d’extrême droite.

Que retenir de tout ceci?

D’une part, que la montée de l’extrême droite est bien réelle et qu’il faut non seulement s’en inquiéter, mais s’y opposer activement! C’est pourquoi je me suis rendu à la manifestation d’aujourd’hui, pas pour bloquer une autoroute, mais pour bloquer la voie au racisme qui avait littéralement le vent dans le dos cet après-midi. (Accessoirement, c’était l’occasion de vivre une nouvelle aventure politico-policière avec ma fanfare et de vous livrer, comme par réflexe professionnel, ce compte-rendu tout subjectif.)

D’autre part, que si la police se montre très proactive pour réprimer les mobilisations de la gauche et pour surveiller les groupes d’extrême gauche au Québec, elle semble au mieux indifférente à l’affirmation de plus en plus décomplexée d’une nouvelle droite qui laisse entrevoir, derrière son verni de respectabilité populiste, un discours et des idées aux accents xénophobes, voire carrément haineux et violents.

*SA : À ne pas confondre avec la milice nazie qui portait le même acronyme, il y a un siècle. Pure coïncidence? Allez savoir! « Storm Alliance (SA) est une organisation anti-immigration active au Québec depuis 2016, née d’une rupture avec Soldiers of Odin (SOO), une organisation plus ouvertement raciste », peut-on lire dans la fiche d’information sur le groupe, publiée l’an dernier par Montréal-Antifasciste.