Pollinisation (politisation) croisée

Je signe ce texte en mon nom,
mais il est avant tout le fruit
d’une sympoïèse – un entrelacement de voix…
(1)

Laval dans les terres
rang du Haut Saint-François
des jeunes travaillent ferme
à leur réinsertion

…en chaque personne dépossédée
réside un nœud névralgique,
un point de bascule
à partir duquel il devient possible
de réinventer des formes…

du maraîchage
à la cuisine
on cultive ici
la confiance
on restaure
aussi la fierté
comme l’ébéniste avec soin
répare lattage et varangues
le cèdre centenaire
d’un canot chaviré
au plafond de l’atelier

Quand de lourds silences planent
au-dessus de nos têtes,
nous les agrippons fermement,
les mains pleines de terre.
Nous les modulons en perles d’eau,
nous en faisons des phrases liquides
pour abreuver nos luttes.

après un détour au champ
entre les rangs d’oignons
on ne rentre pas
dans le rang

Nous sommes devenu·es, à cet instant,
quelque chose comme une multitude
de frissons parlants, oeuvrant ensemble,
dans une sorte de symphonie dissonante.
Des partenaires improbables
travaillant de toutes petites mélodies
révolutionnaires.

un four à pizza
un fumoir maison

Ça fume des vies nébuleuses.
Ça boucane d’histoires fougueuses.
Ça s’enflamme, ça gicle, ça crépite.

retour à la terre
à la serre comme à la serre
les semis sont au complet

Il y a aussi ces nervosités
qui soudainement se reposent
dans une gorge féline, ces agitations qui,
au contact des ronronnements du chat,
se modifient en s’accordant à ses fréquences cardiaques.

un troupeau
de chats sauvages
s’apprivoise
dans la basse-cour
Biquette la chèvre
remue la queue
comme un chien

…en amont des cultures,
en aval des récoltes.

midi sonne au zénith
nos jeunes hôtes
offrent le couvert
le plat de résistance
une lecture chorale en plein air
sur fond de chants d’oiseaux
les moteurs grondent au loin
rappelant le monde et ses machines
à tout faire à l’intérieur

Être dehors,
pour celleux qu’on extrait
des paysages urbain, social,
culturel, économique, politique,
permet d’investir et d’inventer
des espaces plus vastes
où il fait bon travailler ensemble,
en œuvrant à la pollinisation de nos savoirs,
de nos récits et de nos affects.

(1) Mimi Haddam, “Polliniser (politiser) nos affects”, Lettres Québécoises, numéro 197, été 2025, pp. 52-53. Tous les fragments en italique sont tirés de ce texte qui a germé de l’initiative Ça se cultive ensemble, issu d’une collaboration entre les poètes Jessica Côté et Mimi Haddam, la ferme Jeunes au travail et les bibliothèques de Laval, et dont la mise en lecture lors de la journée des partenaires du GRIVE-ReVE du 11 juin 2025 a pollinisé (politisé) ce poème.

Ce texte a été publié initialement sur le blogue Retour de flâneries : jardins de La Traversée – Atelier de géopoétique.