L’incendie qui a forcé la démolition partielle du 77, rue Bernard Est a ravivé les braises d’un conflit opposant l’arrondissement et des acteurs du milieu.
Le hangar industriel abandonné, situé aux abords de la voie ferrée du Canadien Pacifique dans le Mile End, faisait l’objet d’un projet de réappropriation citoyenne depuis plusieurs années. Un collectif d’artistes et de gens de la communauté demandait depuis longtemps l’aide de l’arrondissement pour offrir une nouvelle vie à ce bâtiment désaffecté.
Après avoir longtemps tergiversé sur l’avenir du bâtiment, l’arrondissement a finalement confié, en mai dernier, la gestion du projet à Entremise, un organisme voué au développement d’usages temporaires et transitoires dans les bâtiments vacants à Montréal. Endommagé par un incendie cet été, le bâtiment a été partiellement démoli la semaine dernière.
Des espoirs qui partent en fumée
Dans une publication au ton incendiaire sur sa page Facebook, le maire d’arrondissement Luc Ferrandez a rejeté la responsabilité de l’incendie sur des squatteurs. « Comme dit le vieux proverbe, certes la mante mange son amant, mais le squater [sic] fait brûler sa maison. »
Le collectif KABANE 77 qui milite depuis des années pour la sauvegarde du bâtiment et sa transformation en un espace public dédié au cinéma indépendant et ouvert sur la communauté rejette cependant cette analyse. Dans une longue note publiée sur Facebook la semaine dernière, le collectif revient sur l’historique du projet et fustige « le manque de soin et de vision, l’attentisme et le mépris » de l’administration Ferrandez.
Dans une lettre ouverte, publiée dans nos pages en 2016, le collectif soulignait d’ailleurs que « ce sont souvent des squatteurs qui ont créé les lieux culturels parmi les plus dynamiques en Occident », citant notamment des exemples à Berlin et à Copenhague. L’organisme faisait aussi valoir que « la détérioration est ralentie lorsqu’un bâtiment est utilisé et revitalisé ».
« Plus le temps avance, plus l’immeuble se dégrade », avait également prévenu Julie René, membre du collectif KABANE 77, lors d’une réunion du conseil d’arrondissement en 2016.
Quel avenir pour la KABANE?
L’incendie qui s’est déclaré en juin dans l’immeuble a forcé la démolition du revêtement intérieur et extérieur et du toit le 18 octobre dernier. La démolition a été documentée dans une vidéo expérimentale mise en ligne par ACTION INDIRECTE, un collectif qui explore les liens entre l’art et la politique.
« On a convaincu les ingénieurs de ne pas détruire la structure », explique le maire Ferrandez dans sa note sur Facebook qui précise que la décision finale de maintenir la structure dépendra des expertises en cours de réalisation. « Maintenant, reste à savoir ce que nous en ferons si on réussit à la garder », conclut-il en invitant les internautes à suggérer des idées d’utilisation pour ce bâtiment.
Le fait que le maire n’évoque pas dans son message la vocation culturelle proposée par KABANE 77 risque de rajouter de l’huile sur le feu dans ce dossier, les membres du collectif ayant maintes fois déploré le manque de considération de l’arrondissement à leur égard.
KABANE 77 a d’ailleurs servi une réplique vitriolique à Luc Ferrandez sur Facebook : « c’est pas comme si plein de monde n’avait pas déjà réfléchi à la question, ni fait des propositions mais ça n’a pas l’air de trop, trop vous plaire. On dirait que vous voudriez plus un espace de divertissement bien peigné, bien contrôlé, soupesable en comptes de taxes. Un truc qui fasse ambiance mais qui ne puisse pas vraiment être occupé, des fois que de la vie y pousserait qu’il faudrait gérer ou alors la laisser se gérer, ouuuhh la. »
Le sort de l’édifice du 77, rue Bernard Est n’est pas sans rappeler celui du 3464, avenue du Parc, détruit dans un incendie en 2016 ou celui du 175, Laurier Est, qui s’est effondré sous le poids de la neige à l’hiver 2017.