L’annonce de la fermeture de Pamplemousse.ca a été un choc brutal. L’onde continue à se répandre sur les réseaux sociaux qui, paradoxalement, sont à la fois responsables de la réussite de ce projet de journalisme hyperlocal en ligne et de l’échec du modèle d’affaires de cette entreprise de presse numérique.
Pour l’éditeur, qui n’a pas pris cette décision à la légère ni de gaieté de cœur, c’est la fin d’un rêve. Pour moi, c’est la fin d’une aventure professionnelle qui a façonné, autant sinon plus que mes années à CISM, le journaliste que je suis et le journalisme que je pratique.
Pour mes collègues du milieu journalistique, c’est un autre exemple de la gravité de la crise financière que traversent les médias d’information qui menace de faire tomber les plus grandes entreprises de presse écrite au pays et qui confine les petits médias (et les journalistes, pigistes ou bénévoles, qui se donnent corps et âme pour y produire de l’information de qualité et d’intérêt public) à la précarité.
Bientôt un désert d’information au cœur de Montréal?
Pour le public, que l’on dit souvent indifférent au sort des médias et du journalisme, c’est le choc brutal de la réalité qui fait, du jour au lendemain, de leur communauté un désert informationnel, ou presque.
Il reste les hebdos de TC Média, qui sont en vente depuis près d’un an et qui semblent progressivement abandonner le journalisme d’information au service du public pour un journalisme de promotion au service des annonceurs. Pas que nous ne pratiquions pas également une forme de journalisme de promotion chez Pamplemousse.ca, notamment pour mettre en valeur le commerce de quartier et les industries locales, avec tous les risques de glissements déontologiques que cela présente.
Mais, en tout respect pour mes collègues chez TC qui travaillent avec l’épée de Damoclès d’une vente imminente ou d’une fermeture éventuelle au-dessus de la tête, avez-vous vu une couverture électorale locale digne de ce nom pendant les élections municipales dans le Journal du Plateau? Avez-vous vu un autre média local décortiquer les investissements du PTI de la Ville de Montréal pour informer les gens des projets d’investissements de l’administration montréalaise dans leur quartier?
Depuis plusieurs mois, je suis le seul journaliste à assister aux séances du conseil d’arrondissement! Le conseil, qui siège sans opposition depuis près de 10 ans, gère un budget de quelque 60 millions de dollars annuellement. Bien que je n’aie jamais rien trouvé à redire sur la probité de l’administration Ferrandez, il est impensable de laisser une administration publique, aussi bien intentionnée soit-elle, sans un minimum de surveillance critique.
D’autant plus que le style de gestion, disons autoritaire, du maire et la virulence, parfois maladive, de l’opposition (non élue) entretien un climat de tension et de confrontation qui tend à polariser le débat public et à nuire à la délibération collective.
De la pertinence du journalisme local indépendant
Si j’ai parfois douté de l’impact réel de mon travail, de la portée de mes articles, bref de la pertinence de mon engagement, en tant que journaliste indépendant, envers la communauté du Plateau, la vague de réactions suscitées par l’annonce de la fermeture du journal m’a convaincu du fait que l’information (hyper) locale indépendante répond à un besoin très réel, voire urgent dans la population.
C’est que le Plateau est un territoire complexe, contradictoire, où se cristallisent les enjeux sociaux, politiques, économiques et environnementaux du siècle (du millénaire?) à venir. J’ai d’ailleurs beaucoup appris en tentant, semaine après semaine, de faire des liens entre les problèmes locaux et les problèmes globaux et de mettre en lumière les solutions apportées pour lutter, ici et maintenant, contre les plus graves problèmes de notre temps que sont, à mes yeux, la progression incessante (et indécente) des inégalités socioéconomiques et la dégradation constante (et exponentielle) de notre environnement.
À lire les nombreux messages de notre lectorat, notre absence se fera sentir. J’ai même reçu quelques messages personnels, de part et d’autre des lignes de fractures partisanes, qui se désolent de la tournure des événements.
On dit souvent dans le métier qu’on sait qu’on fait bien notre travail quand on prête flan à la critique de droite comme à celle de gauche. À ce chapitre, il faut croire que c’est mission accomplie.
Tout récemment, les agitateurs anonymes de l’ACRPMR qui n’ont pas hésité à se servir de certains éléments de notre couverture électorale pour promouvoir leur option politique (et qui ont réussi à pousser la mauvaise foi jusqu’à instrumentaliser la fermeture de Pamplemousse dans leur querelle puérile avec l’administration), remettaient en cause notre indépendance éditoriale et nous accusaient d’être en mission au service de Projet Montréal.
Hier, des sources au sein de Projet Montréal m’ont fait part de leur déception face à la sortie bien sentie de mon collègue Stéphane Desjardins contre le parti au pouvoir. Sa critique, qui n’engage que lui et qui relève de sa liberté d’opinion, revient à dire que Projet Montréal est, derrière son discours progressiste bien pensant, un parti comme les autres qui fait des choix politiques incohérents avec ses valeurs et son programme en plaçant de la publicité dans les médias sociaux plutôt que dans les médias locaux. (On lui rétorquera, à juste titre, que la Ville de Montréal et les arrondissements publient leurs avis publics dans le seul quotidien indépendant de la province et que ça doit bien compter pour quelque chose.)
Le beurre et l’argent du beurre?
Comme je l’expliquais à une élue du Plateau qui me faisait la remarque que la publicité politique ne peut et ne doit pas être la principale source de revenus d’un média qui se veut indépendant, le fait est qu’une administration municipale (ou un parti politique) qui mise sur l’amélioration de la qualité de vie et de la participation citoyenne devrait se soucier de la survie de la presse locale.
Une façon radicale de « faire de la politique autrement » serait de considérer que la publicité électorale (et, plus encore, la publicité politique en dehors des périodes électorales) peut servir à consolider les médias comme des leviers de contre-pouvoir autonomes essentiels au maintien d’institutions démocratiques saines, et pas seulement être un outil de propagande partisane.
Il ne faut pas tout confondre. L’ancien éditeur de Pamplemousse.ca reproche aux partis politiques municipaux de ne pas faire des placements publicitaires dans une presse de proximité qui n’a peut-être pas la portée et la capacité de microciblage des réseaux sociaux, mais qui participe à la vitalité de l’économie de quartier et de la vie démocratique locale.
Il n’appelle pas à subventionner directement ou indirectement la presse, ce que d’autres patrons de presse font par ailleurs, de concert avec des syndicats de journalistes. Cette alliance incongrue entre les patrons et les syndicats des médias nous donne une idée de la gravité de la crise. Et l’opposition vindicative du patron de l’empire Québécor à certaines aides accordées récemment à des concurrents de ses publications montre à quel point le dossier de l’aide publique à la presse est un terrain miné politiquement, si elle ne s’inscrit pas dans le cadre de programmes balisés.
Je suis personnellement d’avis qu’un soutien public à l’information est urgent et nécessaire. J’ai d’ailleurs proposé au nom de l’Association des journalistes indépendants du Québec quelques pistes qui sortent des sentiers battus et rebattus.
Pour en revenir à notre Pamplemousse, qui n’aura joui d’aucune aide publique aux médias durant ses cinq années d’existence, force est de constater que s’il a réussi à trouver un lectorat, il n’a pas résolu la quadrature du cercle qui consiste à générer suffisamment de revenus pour couvrir les coûts de production d’une information indépendante, d’intérêt public et de qualité tout en assurant la distribution gratuite de ses contenus.
Dépassés par les bouleversements économiques et technologiques, dans le secteur du commerce de détail notamment, des annonceurs qui auraient tout intérêt à canaliser leurs maigres ressources publicitaires dans un média de proximité en ligne engloutissent plutôt leurs dollars publicitaires dans le trou noir financier que sont les Google et Facebook de ce monde.
Ainsi, de la même manière que les Airbnb et consorts viennent détruire la trame urbaine et dissoudre le tissu social dans nos quartiers, les géants du Web viennent cannibaliser les revenus de nos médias locaux et ainsi court-circuiter un fragile écosystème économique qui a longtemps fait vivre, comme en symbiose, la presse locale et les commerces locaux.
L’avenir de l’information (locale) est entre nos mains
Je demeure convaincu, comme je l’ai déjà écrit dans Ensemble (un autre média indépendant qui n’a pas réussi à tirer son épingle du jeu dans ce grand Monopoly médiatique, où des empires commerciaux souvent liés à de puissants intérêts politiques prennent le contrôle de toute la chaîne de production et de distribution de l’information pour en tirer un maximum de profit, généralement sans égard à — ou au détriment de — la qualité d’emploi des journalistes et de l’intégrité professionnelle du journalisme), que l’avenir du journalisme se joue maintenant.
Si vous espériez que je conclurais ce long billet en sortant une solution magique, comme on sort un lapin d’un chapeau, désolé de vous décevoir. Il n’y a pas de solution simple à un problème complexe.
Épilogue
J’ai écrit ce requiem pour Pamplemousse.ca à chaud. Je l’ai mis en ligne rapidement, encore sous le coup de l’émotion, si bien que j’ai publié par erreur un texte inachevé et parsemé de coquilles. (Voilà bien les limites de l’auto-édition. La différence fondamentale entre un blogue personnel comme celui-ci et un journal, c’est qu’un blogue ne fait généralement pas l’objet d’une révision par des pairs. Et quand une seule paire d’yeux repasse sur les mêmes lignes, elle manque inévitablement des choses.)
Dans ma conclusion inachevée, je m’embrouillais donc dans une ellipse qui soulignait que même le SCRS s’inquiète des dangers de la désinformation.
Quand c’est rendu que la police secrète nous prévient que « l’écosystème informationnel permet la tenue de campagnes de désinformation d’envergure », il me semble qu’il est temps de prendre la situation au sérieux!
Entre temps, le gouvernement fédéral a fini par annoncer la création d’un fonds d’aide de 50 millions sur 5 ans à la presse locale au Canada. C’est peu, mais c’est déjà ça.
Il est trop tôt pour dire si Pamplemousse.ca pourrait renaître de ses cendres grâce à ce nouveau fonds ou grâce à une initiative d’une lectrice qui a lancé une campagne pour sauver Pamplemousse.
Une chose est certaine cependant, c’est que s’il devait y avoir une suite à cette aventure de journalisme hyperlocal, je suis d’avis qu’elle doit passer par la propriété collective et par l’économie sociale et solidaire.
L’avenir de l’information sera à but non lucratif ou ne sera pas.
S’il existe des solutions durables à la crise des médias, qui n’est en réalité que l’un des multiples fronts de la crise globale du capitalisme postindustriel, elles se trouvent à l’extérieur du cadre de référence de ce système fondé sur une soif irrationnelle de profit à court terme et sur une dangereuse utopie de croissance infinie dans un monde fini.