L’engagement indéfectible de Lucia Kowaluk envers la justice sociale et le logement communautaire aura façonné le quartier Milton-Parc tel qu’on le connaît.
Suite au décès, le 1er février 2019, de cette femme d’exception qui représentait un modèle d’engagement communautaire et d’implication sociale, plusieurs voix se sont élevées pour lui rendre hommage.
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a salué sur Twitter une « grande Montréalaise, grande militante, qui a œuvré pour plus de justice sociale » à Montréal. Le maire d’arrondissement Luc Ferrandez a quant à lui livré, en ouverture du conseil du 4 février, un vibrant hommage à celle qu’il a qualifiée de « pilier de la communauté Milton Parc ».
« Elle a servi comme un modèle, comme un exemple à suivre », affirme de son côté Tony Antakly, un résident de longue date du quartier qui a côtoyé Lucia Kowaluk de près pendant de nombreuses années. « J’ai tout de suite été impressionné par ses qualités, par ses combats », se remémore-t-il en décrivant une femme dont la gentillesse et la compassion n’avaient d’égal que la fermeté de son caractère et la constance de ses convictions.
Une femme au cœur d’un mouvement historique
Militante de la première heure du Comité des citoyennes et citoyens de Milton-Parc (CCMP), fondé en 1968, Lucia Kowaluk a été au cœur de la lutte contre le projet de développement d’un promoteur privé qui prévoyait à l’époque raser la quasi-totalité des immeubles existants dans le quadrilatère formé par les rues Université, des Pins, Saint-Laurent et Sherbrooke.
L’entreprise Concordia Estates Ltd souhaitait y construire des édifices modernes, incluant des tours de vingt-cinq étages.
En s’opposant résolument à ce projet de développement, caractéristique de l’approche tabula rasa de l’ère Drapeau, Lucia Kowaluk a ainsi été l’une des instigatrices du mouvement qui a permis de mettre sur pied, en 1978, le plus important projet d’habitation communautaire en Amérique du Nord. La Communauté Milton-Parc (CMP), un syndicat de copropriété regroupant près de 150 immeubles gérés par des coopératives et des organismes à but non lucratif, demeure à ce jour un modèle unique de développement immobilier communautaire.
Cet « effort de collectivisation » du quartier est l’une des histoires à succès documentées par Héritage Montréal sur sa plateforme H-MTL. La préservation des ensembles architecturaux du quartier, bâtis entre 1875 et 1900, a été célébrée comme une réussite lors d’une exposition du Centre canadien d’architecture l’an dernier qui soulignait également le caractère exemplaire de ce « front commun contre l’éventualité d’une expulsion » et de la « résistance au projet de réaménagement », dans lesquels Lucia Kowaluk a joué un rôle de premier plan.
Une vie de lutte pour le logement social, le patrimoine urbain et les plus démunis
« Ses luttes auront des impacts durables sur la vie des Montréalais les plus démunis », a écrit la conseillère du district de Jeanne-Mance, Maeva Vilain.
Travailleuse sociale de formation, organisatrice communautaire par vocation, Lucia Kowaluk a travaillé à la Mission St. Michael’s : un centre de jour pour les personnes en situation d’itinérance, mieux connu comme l’église au toit rouge, qu’elle a dirigé jusqu’au tournant des années 2010.
Prenant toujours le parti des plus vulnérables, Lucia Kowaluk a d’ailleurs été l’une des premières signataires de la lettre ouverte pour la Porte Ouverte l’an dernier.
« Elle n’a pas pris parti de façon intransigeante », note toutefois Tony Antakly qui s’est pour sa part campé du côté des opposants dans le controversé projet de déménagement du centre de jour la Porte ouverte sur l’avenue du Parc. Dans ce débat, extrêmement polarisé, comme dans tous ses autres engagements, Lucia Kowaluk « faisait toujours la part des choses », observe-t-il.
La femme de tous les combats
« On n’était pas toujours sur la même longueur d’onde, mais on était toujours solidaires sur les objectifs », analyse Richard Phaneuf, un résident engagé de Milton-Parc qui a fait de la création d’une nouvelle bibliothèque dans les locaux de l’Hôtel-Dieu l’un de ses combats. Pour Lucia Kowaluk, le maintien de services de santé de première ligne à l’Hôtel-Dieu a toujours été l’un de ses principaux chevaux de bataille en vue de la reconversion de l’ancien hôpital.
Lauréate du prix Thérèse-Daviau en 2004, décorée à l’Ordre du Canada en 2014 et à l’Ordre national du Québec en 2015, Lucia Kowaluk est demeurée une militante de terrain jusqu’au bout. Ces dernières années, elle était de toutes les actions pour la sauvegarde de l’ensemble patrimonial de l’Hôtel-Dieu et pour sa transformation en pôle de services communautaires et de logement social.
Elle a aussi joué un rôle discret, mais déterminant, dans le dossier du Jardin Notman. « Ce n’était pas son premier intérêt, mais elle a quand même embarqué dans le mouvement », note Tony Antakly qui a mené pendant près de 15 ans le mouvement de lutte pour la préservation de ce terrain patrimonial. « Elle était même prête à s’enchaîner aux arbres », raconte-t-il en relatant le « rôle important » qu’a joué Lucia Kowaluk, tant dans les représentations auprès de la Ville que dans les négociations avec le promoteur.
Voilà qui en dit long sur cette femme qui n’avait pas hésité à participer à une occupation pour empêcher la démolition de l’Îlot Overdale dans les années 80 et qui, du haut de ses 80 ans passés, continuait à avoir le courage de ses convictions.
Une implication et un engagement qui auront duré plus d’un demi-siècle.
Elle aura notamment laissé en héritage le Centre d’écologie urbaine de Montréal, qu’elle a cofondé en 1996, mais aussi et surtout un souci d’articuler l’amélioration de la qualité de vie, la préservation du patrimoine bâti et le maintien de logements abordables dans les quartiers centraux en proie à d’immenses pressions foncières et immobilières.