Ce qui se passe sur Internet est loin d’être déconnecté de la vie réelle. Le virtuel déteint sur tout, jusqu’à nos quartiers, avance Philippe de Grosbois.
Dans un livre à paraître cette semaine aux Éditions Écosociété, l’enseignant en sociologie et militant syndical postule que, contrairement à ce que l’on sous-entend quand on parle du « cyberespace », « Internet n’est pas en dehors du monde ».
Son ouvrage qui élabore sur plus de dix ans de recherches et de publications sur divers enjeux sociaux et politiques liés au numérique, notamment dans la revue À Babord!, propose une analyse d’Internet non pas comme un no man’s land technologique, mais comme un champ de bataille où se reproduisent les rapports de force qui existent dans le monde réel et les luttes sociales qui tentent de transformer les rapports sociaux.
Le capitalisme numérique à l’assaut
« En ce moment, Internet est sous assaut », lance d’entrée de jeu l’auteur.
La centralisation et le contrôle opaque des technologies (et des données personnelles) entre les mains d’une poignée d’entreprises globales et la surveillance massive des utilisateurs par les entreprises privées et par l’État sont à ses yeux les deux principales menaces que font peser le capitalisme numérique sur la survie de l’Internet tel qu’il a été pensé à l’origine, comme lieu d’échange et d’apprentissage ouvert et transparent.
Journalisme et médias : un cas d’école
« Le cas du journalisme est assez intéressant », souligne Philippe de Grosbois qui note que la crise financière actuelle des médias ne date pas d’hier.
En fait, observe-t-il, le début du déclin de l’industrie des médias traditionnels en général, et de la presse écrite en particulier, date d’il y a une vingtaine d’années, à peu près au moment où l’Internet public a vu le jour sous la forme du World Wide Web.
Loin de se résumer à une crise de modèle d’affaires, la crise du journalisme, qui fait l’objet d’un chapitre entier dans le livre, est aussi une crise politique qui appelle à repenser le rôle des journalistes et des médias dans les luttes de pouvoir qui façonnent la société.
Nouveaux possibles médiatiques
L’environnement technologique d’aujourd’hui ouvre de « nouvelles possibilités » de collaboration entre les journalistes, leurs sources et le public, fait valoir Philippe de Grosbois qui cite en exemple le travail d’enquête international réalisé sur les Panama Papers.
Les petits médias locaux, dont bon nombre ont été « abandonnés » par les entreprises de presse traditionnelles estime l’auteur, sont également des terrains fertiles d’expérimentation, notamment avec des approches hyperlocales qu’appuient impliquent le lectorat dans la recherche de sujets.
(Notre série sur analyses réalisées par Richard Phaneuf à partir des données ouvertes du 311 constitue d’ailleurs un bon exemple de ce type de journalisme collaboratif.)
Du nuage à la ville
Si les technologies de l’information transforment nos modes de communication et de vie en multipliant nos interactions dans le nuage informatique, leur déploiement laisse également des traces dans l’environnement urbain.
« Ça a aussi des effets concrets dans les quartiers », insiste Philippe de Grosbois. Il pointe notamment du doigt ce que l’on peut désormais appeler l’effet Airbnb qui fait que des logements locatifs sont retirés du marché régulier pour être exploités dans « l’économie du partage ».
En plus d’accentuer la précarisation du travail en ce début de 21e siècle, ce nouveau capitalisme numérique urbain, qu’incarnent les Uber X et autres pionniers de l’économie du partage, tend à brouiller les frontières entre l’espace de vie et l’espace de travail, analyse le sociologue.
C’est sans parler des impacts, positifs et négatifs, que l’installation de grandes entreprises comme Ubisoft peut avoir sur les quartiers où elles s’implantent ou que le foisonnement de micro-entreprises d’innovation technologique peut avoir sur le paysage urbain et sur le tissu social des quartiers.
Le livre Les batailles d’Internet. Assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique sera lancé ce soir (mardi 23 janvier) au Quai des Brumes. Il est préfacé par Jonathan Durand Folco qui signait l’an dernier le traité de municipalisme.