Ta vie est passée dans la mienne

Ici, sous ton ciel tombal, je t’espère encore. Tu fonds en moi comme le sel dans la mer des larmes qui me versent jusqu’à toi; là-bas, dans cet ailleurs inaccessible qui me hante et m’appelle secrètement; dans le silence assourdissant de mes sanglots en réserve.

Si tu savais tout ce que je ne te dirai pas, tout ce qui doit rester en moi à défaut que je puisse te l’offrir; ce vide sidéral dans mes bras, réservoir infini de possibles mort-nés, de dons de moi gardés pour ne pas m’égarer, me perdre comme je t’ai perdu.

Si je te retrouvais maintenant, je te sourirais à pleines dents; je mordrais dans la vie partagée avec toi. Ton absence me laisse sur ma faim.

Ta fin du monde m’est arrivée d’un coup du hasard. Il ne reste que les éclats, les ruines d’une vie impensable à reconstruire sans toi. Ton absence assidue me pèse comme le poids innommable de tous mes regrets, de tous mes échecs, de toutes mes envies évanouies.

Tu me souffle à l’oreille que le vent balaie tout; que ces pesanteurs obscures ne sont que des chaînes que je porte autour du cou; que je ne suis pas seul sans toi, mais un avec toi. Te voilà comme un fragment de plus de moi-même à placer dans le casse-tête de ma vie.

Je t’envie parfois d’être en paix; libre; sans attaches ni contraintes; bercé dans l’éternelle douceur du néant dont nous sommes tous deux issus, auquel je retournerai à mon heure future.

Je t’en veux aussi, malgré moi, d’être parti si vite; de ne m’avoir laissé que des traces invisibles à suivre pour trouver mon chemin sans tes pas, pour tracer ton chemin dans les miens.

Rassure-toi : je ne peux pas t’en vouloir vraiment. Tout ce que je voudrais, c’est refaire le temps, refaire le monde; défaire l’impossible insensé qui t’a arraché à moi, à nous; réparer ce qui est irrémédiable; recoller les morceaux.

Tu n’y es pour rien, mais pourquoi la vie est-elle si fragile? Si imprévisible? Si injuste?

Le vent crie que tu es là; partout et nulle part à la fois; dans la force et la puissance de ce courant imperceptible qui passe entre l’air et l’encre et la page; dans l’essence insufflée de ces mots qui me mettent à l’envers, hors de moi.

À cœur ouvert, le cœur à vif, j’ai mal de t’écrire ces paroles qui s’envolent; de ne laisser tomber que ces écrits incomplets, incapables de dire ce que tu esquisserais si tu n’étais pas au-delà de ce monde.

Je m’emporte dans ce torrent de lettres inachevables qui ne peuvent traduire tout le bien que je pense de toi, réduire le mal qui m’habite tout entier; tout ce qui reste; tout ce que je porte; ton avenir passé avant l’heure présente; ta vie passée dans la mienne.